Concerts de Berlin des 3-5 avril 1938

Quelques mots sur ce programme, non sur son contenu — du pur Beethoven, sans surprise — mais sur ce qui va avec.

Le fascicule est accompagné de deux feuilles volantes. Le feuillet vert annonce deux concerts à venir à Berlin, mais avec le Philharmonique de Vienne. C’est qu’il vient de se produire un événement décisif : le Reich vient d’annexer l’Autriche, qui entre ainsi dans le giron de la grande Allemagne. Ces concerts font partie du processus d’intégration, mais masquent une autre réalité : Furtwängler, à la demande des philharmonistes, intervient en haut lieu pour que les Wiener Philharmoniker soient traités « à part ».

Le feuillet rose bouscule légèrement l’ordre des pièces : Léonore II sera jouée après la 4e Symphonie et non avant. Furtwängler le faisait couramment à cette époque, notamment avec Coriolan, considéré comme sommet de tension du concert. Cela nous apparaît curieux, habitués que nous sommes à entendre une ouverture en début de concert, et oublieux que nous sommes de ce qu’une ouverture d’opéra, dès lors qu’elle en est détachée, devient une page symphonique comme une autre, à placer au meilleur moment en fonction de sa portée musicale.

Enfin, on notera la présence de trois portraits du chef : une photo officielle, et le portrait en dessin de chacun des labels de disques : Electrola, encore filiale d’EMI, et Deutsche Gramophon, distribué par HMV en Allemagne et plus connu sous Polydor à l’étranger.

Furtwängler, à cette époque, avec ses trois Konzertmeister berlinois, Erich Röhn, Hugo Kolberg et Siegfried Borries.

Concert de Berlin des 20-22 décembre 1950

On ne compte pas les très nombreuses Neuvième de Beethoven que Furtwängler dirigea à Berlin de 1920 à 1942, notamment avec le Chœur de Bruno Kittel.

À partir de son retour, les Neuvième se multiplièrent à Vienne (4 séries), à Bayreuth (2), à Salzbourg, à Lucerne (2), en Italie… mais se firent bien rares à Berlin. Problème de salle ? Il est vrai que la scène du Titania était exigüe. Problème de chœur ? Celui de la Cathédrale Sainte-Edwige a fait les beaux soirs de nombreux concerts et a rempli son office dans de beaux enregistrements. En tout cas pas un problème de solistes. Ceux rassemblés pour cette série de concerts de décembre 1950 sont de tout premier ordre, même si le casting apparaît a priori un peu hétérogène.

Le fascicule est lui-même intéressant. En marge de la longue analyse de l’œuvre sous la plume de P.W. — comprenez Peter Wackernagel — on remarque trois publicités de majors du disque :
– en page 2 : Decca, qui a signé des grands noms de la baguette, y compris Furtwängler, mais lequel n’a alors commis qu’un disque sous ce label : celui de la 2e Symphonie de Brahms avec le Philharmonique de Londres,
– en page 8 : Deutsche Grammophon Gesellschaft ; publicité générale qui annonce surtout un catalogue à venir en disques longue durée, et pour qui Furtwängler gravera quelques disques un an plus tard,
– en page 11 : Electrola (du groupe EMI), qui n’évoque pas les disques publiés avec Furtwängler — qui pourtant se multiplient depuis 1947 —, mais une Neuvième de Columbia en 78t, sans citer chef et orchestre, qui se trouvent être… Herbert von Karajan et le Philharmonique de Vienne.

Enfin, pour les gourmands, signalons que les chocolats et pralines du “petit Maure” de Sarotti, du dos de couverture, existent toujours.

Concert à Vienne du 20 mai 1951

Le fascicule est bien épais, 40 pages. Il est vrai qu’après une analyse de chacune des trois œuvres, et notamment de l’Ouverture ‘Scapino’ de Walton, donnée en première viennoise, on nous offre les ‘Musik-Blätter’, les cahiers du Philharmonique de Vienne, successions d’articles sur des sujets musicaux variés. La lecture peut néanmoins provoquer quelque étonnement.

Un article sur Mahler est certainement le bienvenu après des années de mise à l’écart, mais il peut sembler curieux qu’il ne se soit pas trouvé une seule plume viennoise pour le célébrer, et que l’on aie dû piocher dans le vieux, mais excellent, Specht de 1913.

Avait-on réellement besoin de présenter Furtwängler — en quatre pages ! — au public viennois ?

La présentation de César Franck est typiquement germanique et minimise le côté français de son influence. Ou, plutôt pire, il cite Bruneau ou Charpentier, mais occulte la véritable descendance de Franck avec Duparc et Chausson.

Kurt Blaukopf (on aurait pu lui confier l’article Mahler !) nous dispense un cours de philosophie, d’esthétique générale où ne manque même pas l’herméneutique…

Enfin, une petite bouffée d’air frais nous est apportée par un aperçu des pupitres du Philharmonique : c’est le quatrième et dernier épisode où l’on a rassemblé des instruments moins en vue, la harpe et les percussions.

Celui qui détenait ce programme — en fait une série acquise par la SWF — avait l’habitude d’annoter ses précieuses brochures. Ce qui nous vaut en première page cette mention définitive : « sehr schön ! ».

 

Concert de Berlin du 30 novembre 1941

Ce programme fait partie d’une série, acquise par la SWF, de huit fascicules intéressant les saisons 1940/41 à 1942/43 de la Philharmonie de Berlin. Quelques précisions avant d’ouvrir chacun d’eux. On est en période de guerre et donc de restrictions, mais on reste étonné de la qualité des documents : couverture cartonnée, impression deux couleurs en couverture, présence d’au moins une photographie, analyse des œuvres… Et aucune référence au régime en place : on se croirait dans une monde sans croix gammée… Enfin, certains programmes comportent une rubrique « nouvelles des Philharmoniker », ou des annonces de programmes, qui nous permettent de suivre la vie de cet orchestre. On notera que le concert est donné trois fois, ce qui totalise plus de cinq mille auditeurs !


Que voilà un programme un peu atypique.

En l’ouvrant, les yeux tombent sur des sentences d’hommes célèbres sur Mozart ; et la page au verso nous présente un portrait — pastel de Tilgner, vers 1786, dixit la 4e de couverture (1) —  de Wolfgang Amadeus. Pourquoi ? Novembre 1941 : nous entrons dans le calendrier « de l’avent » des hommages à Mozart pour le 150e anniversaire de sa disparition.

Est-ce pour cette raison que Furtwängler a inscrit une œuvre liée au maître de Salzbourg, de Max Reger, compositeur qu’il respecte et que sa baguette a bien servi ? De toutes les œuvres de Reger inscrites à son répertoire — avec notamment les Beethoven-Variationen —, Les Mozart-Variationen sont la page qui revient le plus fréquemment dans ses programmes. Curieusement, il ne dirigera plus une seule note de Reger après son retour en 1947. (Pour plus d’informations, nous renvoyons le lecteur à l’étude Furtwängler et Reger, disponible sur le site de la SWF.)

Il en va de même pour la Nouveau Monde de Dvorak. Notre chef l’a dirigée, mais pas aussi souvent que la popularité de l’œuvre pouvait l’inciter à le faire. C’est d’ailleurs la seule symphonie du Tchèque qu’il a fréquentée, à côté de rares exécutions des Concertos pour violoncelle ou pour violon. Et là encore, ce pourtant grand romantique disparaît de ses programmes après 1944.

Entre les deux œuvres, Furtwängler a offert une place de choix — pour le mettre en avant, et lui seul ! —, à un tout jeune musicien qu’il vient d’engager à la Philharmonie, au poste de Konzertmeister : Gerhard Taschner. Beau geste, qui n’est pas le fait de tous les grands chefs ! Saluons-le comme il se doit, et regrettons que ce violoniste prodige, mais au caractère difficile et à la psychologie instable, n’ait pas mené après-guerre la carrière qu’il aurait pu tracer. La biographie, forcément courte, du nouveau venu est esquissée en avant-dernière page. Parmi les maîtres cités comme formateurs de l’apprenti, la plume autocensurée du rédacteur a omis un nom qui sonnait bien mal alors : Bronislaw Huberman… Et ce que ne dit pas non plus le programme, c’est que ce jeune génie de 20 ans a fait l’objet d’une offre concurrente, et plus substantielle, pour le même poste à la Staatskapelle de Berlin, de la part de son chef, Herbert von Karajan.

Au dos du fascicule figurent les programmes à venir. Pour le 16 décembre, Furtwängler avait prévu de jouer, en le dirigeant du clavier, le 27e Concerto de Mozart. Finalement il opta pour la Sérénade « Gran Partita », avec treize de ses Philharmoniker.

 

(1). L’attribution à Tilgner est curieuse ! Viktor Tilgner (1844-1896) a certes rendu hommage à Mozart, mais par la célèbre sculpture du monument Mozart à Vienne.

Concert de Vienne, 13 février 1949

Certains voient en Pfitzner l’ultime maillon de la chaîne musicale remontant jusqu’à Bach. Lui-même, contempteur de l’évolution musicale au xxe siècle, se voyait ainsi, ultime rempart contre une barbarie venant de l’étranger ­— xénophobe absolu — ou de son propre « camp ». L’histoire a retenu l’homme entier, inflexible, acariâtre, bilieux, ennemi de tout et de tous, ayant même réussi à se mettre les nazis à dos… Quelques œuvres subsistent, en tout cas pas cette « Rose du jardin d’amour », son second opéra au livret impossible, à l’écriture musicale incongrue, qui n’a pas dépassé les frontières de son pays, lequel l’a d’ailleurs passablement oublié. Furtwängler, en dirigeant un extrait de cet ouvrage, agit-il par conviction artistique ou par piété quasi-filiale ?

En revanche, c’est bien par passion qu’il dirige la Cinquième de Bruckner, surtout depuis que l’édition Haas a révélé la véritable dimension de l’ouvrage, et notamment du Final. À ce propos, relevons dans le commentaire du programme une sorte de « fable » qui avait encore cours à l’époque. Dans la nomenclature de l’orchestre, le commentateur y ajoute le doublement des cuivres pour le Finale, doublement nullement prévu à l’origine, mais que la plupart des chefs ont adopté. À l’époque, ces supplémentaires étaient souvent placés plus haut, sur la tribune de l’orgue, et l’on faisait alors référence aux douze apôtres… Furtwängler suivit-il cette mode ? pas impossible, puisque dans un courrier, justement au Philarmonique de Vienne, il demande à ce que ces cuivres supplémentaires soient placés « dans » l’orchestre. En fait, il convient d’oublier cet aspect romantique : si l’on double les cuivres, c’est qu’ils sont tellement sollicités que les instrumentistes parviennent les lèvres trop fatiguées pour le Final et notamment son gigantesque choral conclusif.

Concert de Berlin du 17 mai 1953

On les connaît bien ces concerts. Celui du 18 a été retransmis, enregistré et se retrouve donc reproduit sur des disques, même si c’est en ordre dispersé.

Le programme imprimé tranche sur ce qui se pratiquait à l’époque et offre donc un visage assez « moderne ». Est-ce le format carré peu usité alors ? Est-ce la présence du soliste —Wolfgang Schneiderhan — qui rapproche le tout de notre époque ? Est-ce la publicité en page deux, avec l’énoncé de disques qui nous sont encore familiers ? N’est-ce pas tout autant la page trois de couverture, réservée à un placard de l’association pour la reconstruction d’une Philharmonie à Berlin. Nous voilà pris dans la spirale du temps. Dix ans plus tard sera inaugurée la nouvelle Philharmonie, architecturalement à cent lieues de l’ancienne et même fort en avance sur son époque.

Le programme est classique, même le divertimento du Baiser de la fée de Stravinsky, que Furtwängler avait déjà donné une quinzaine d’années plus tôt.

Les analyses musicales sont signées P.W, pour Peter Wackernagel, dont on retrouve la plume sur de nombreux programmes des Berliner. Il était attaché à la Bibliothèque Nationale de Berlin, dont il avait assuré la direction du département musical entre 1945 et 1950.

Concert de Munich du 7 juin 1935

Le programme de ce concert peut paraître anodin — Egmont, la Pastorale, la Cinquième — si l’on oublie quelle signification particulière il représente pour Furtwängler. Démissionnaire de tous ses postes fin 1934, il remonte pour la première fois au pupitre de son Philharmonique le 25 avril 1935 avec ce « tout-Beethoven », qui est une profession de foi. Les Berlinois, mais aussi le corps diplomatique présent, ne s’y trompent pas et font de cette soirée un événement : huit rappels et l’intervention de la police municipale pour obtenir que l’on vide les lieux. Quelque jours après, et le concert ayant été re-programmé (comme le premier au bénéfice du Secours populaire), Furtwängler se fait piéger en découvrant la brochette en uniforme qui occupe le premier rang ! Première de nombreuses récupérations politiques, auxquelles il aura du mal à échapper.

Les quelques concerts qu’il donne en tournée avec son orchestre présentent la même affiche, tel celui-ci donné à Munich dans le cadre du Festival d’été. Le concert est donné, non dans la Salle des congrès, mais dans la gigantesque « Halle 1 », là-même où Mahler avait créé sa 8e Symphonie vingt-cinq ans plus tôt.

Pour son grand retour en mai 1947, il reprendra ce même programme…