Concert du 26 février 1925

Le répertoire à l’affiche du concert n’est pas commun : à côté de l’ouverture d’Alceste de Gluck, le Premier Concerto pour piano de Serge Bortkiewicz, et la Première Symphonie de Mahler.

C’est l’unique fois où Furtwängler programme Bortkiewicz (1877-1952), compositeur né en Ukraine, au romantisme tardif.

Quant à Mahler, notre chef n’en a jamais été un prosélyte, et s’il a dirigé les quatre premières symphonies — la Première une dizaine de fois — il s’en est éloigné et s’est limité ensuite aux Kindertotenlieder et aux Lieder eines fahrenden Gesellen.

Un regret : comme la quasi-totalité des programmes leipzigois, il se limite à une page énonçant le détail des œuvres. Du moins nous apprend-on que la charmante Lubka Kolessa joue le concerto sur un piano Blüthner et que les partitions sont disponibles au foyer…

Concert du Gewandhaus du 31 décembre 1927

Concert à 23 heures. En tenant compte de l’inévitable petit retard au début de la soirée, de l’enchaînement des œuvres, de leur durée, des applaudissement, on peut imaginer que le décompte des ultimes minutes de 1927 et les hourras accueillant 1928 ont occupé l’entracte.

Rien à dire du programme — on aurait pu imaginer plus léger… — mais notons le lieu, l’Alberthalle, vaste salle circulaire faisant partie du Krystallpalast, et pouvant accueillir près de 3000 spectateurs.

C’est le 31 décembre 1918 au soir qu’Arthur Nikisch, en dirigeant la 9e Symphonie de Beethoven, avait établi la tradition du concert de la Saint-Sylvestre.

Concert de Berlin du 23 octobre 1922

Aux côtés de deux habitués des programmes de Furtwängler, le Concerto pour piano de Schumann — avec une immense pointure de l’époque, Carl Friedberg —, et la Deuxième de Brahms, voici une œuvre, dont c’est la seule apparition sous sa baguette (en fait avec l’exécution lors du concert d’abonnement à Leipzig la semaine précédente) : Le Poème de l’extase de Scriabine, pour reprendre le titre original français, mal écrit sur le programme.

C’est vrai que l’on se s’attendait pas à voir Furtwängler se commettre dans cette page aux ambitions théosophiques, métaphysiques et… érotiques. Apparemment, il s’en est bien sorti si l’on en croit la critique parue dans Signale :
« On doit savoir gré Wilhelm Furtwängler, pour son deuxième concert philharmonique, d’avoir donné la parole à Scriabine, dont les œuvres ne sont que rarement jouées en Allemagne, et en général ne sont pas honorées pour leur pleine signification. Son Poème, que Serge Koussevitsky nous a fait connaître l’hiver dernier, est une œuvre qui — et c’est le cas de toute musique véritable — captive et gagne en charme plus on la connaît et plus on l’approche. Ce poème est une musique profondément fervente d’une valeur pérenne. Superbe fut l’exécution. Magnifique la façon dont Furtwängler emboîtait les pierres les unes aux autres et les empilait comme pour l’édification d’une cathédrale. Magnifique comment convergeaient de façon fusionnelle la joie débridée et extatique de l’œuvre et du chef. »

La seule remarque négative énoncée par le critique — et sans doute aurez-vous relevé l’anomalie : le fascicule, à côté de nombreuses publicités et de l’analyse moultes fois reproduite de la Symphonie de Brahms par Becker, ne dit pas un mot de l’œuvre de Scriabine, pourtant inconnue…

Concert du Gewandhaus du 1er janvier 1926

Le programme de ce concert est — disons le — quelque peu hétéroclite. Deux pages de Beethoven, la Léonore II et l’Eroica encadrent un air de Gluck avec orchestre, la Tragische Geschichte de Reznicek, et des Lieder de Wolf et de Pfitzner (avec Furtwängler au piano).

Au moins a-t-on choisi de Wolf le Zu neuen Jahr qui colle avec la date du concert. Birgit Engell (1882-1973), danoise, a mené une carrière relativement discrète. Si elle est apparue souvent à l’opéra de Copenhague, après-guerre elle s’est surtout illustrée en concert. Et c’était la 4e fois en 4 ans que Furtwängler faisait appel à elle : elle ne devait pas être dénuée de talent !

Pour l’œuvre de Reznicek, nous renvoyons le curieux au programme de Berlin du 3 novembre 1940.

Concert du Gewandhaus du 1er janvier 1923

Cela fait quelques mois que Furtwängler est à la tête du Gewandhaus de Lepzig, à l’époque plus prestigieux encore que le Philharmonique de Berlin, pouvant se glorifier d’un illustre passé remontant à 100 ans de plus que son rival prussien.
L’intérêt de ce programme est évidemment la participation d’Alexandre Kipnis, l’une des basses les plus célèbres de son temps. Sans doute aussi — et en ce sens un précurseur de Fischer-Dieskau — le plus éclectique en terme de répertoire. Aussi à l’aise dans Parsifal (Gurnemanz) que dans Boris Godounov, dans La Flûte enchantée (Zarastro) que dans Pelléas et Mélisande (Golaud).
Il intervient ici comme interprète de Lieder et est accompagné par Furtwängler au piano. On est juste étonné que — venant après la 101e Symphonie de Haydn — l’air de concert du même compositeur, Die Teilung der Erde, n’ait pas été donné dans sa version orchestre.

On est le 1er janvier. De quoi bien commencer l’année ? Pas sûr. Regardez, en haut à droite, le prix de ce petit quatre pages qui ne paie pas de mine : 50 Deutsche Marks ! On n’est qu’au début de cette terrible période d’inflation qui verra bientôt le pain affiché à 3 milliards de DM….

Concert du Gewandhaus du 13 octobre 1927

Furtwängler entame sa dernière année à Leipzig. Il a programmé  une gloire du chant : la soprano Elisabeth Rethberg. Il l’a accompagnée pour la première fois quelques mois auparavant, dans le Deutsches Requiem de Brahms à New York.

Ah! Perfido de Beethoven revient plusieurs fois sous la baguette de Furtwängler à cette époque, ainsi que les Lieder avec orchestre de Richard Strauss. En revanche, c’est la seconde (et dernière) fois qu’il inscrit une œuvre d’Ewald Straesser (1867-1933) au programme, en l’occurrence la 6e et dernière Symphonie de ce compositeur quelque peu oublié. Il avait dirigé la Seconde trois ans plus tôt.

« Lohengrin » au Städtische Oper, 21 novembre 1929

Plantons d’abord le décor : Furtwängler dirige Lohengrin dans la « seconde » maison d’opéra de Berlin, l’Opéra Municipal, et non à l’Opéra National, le « Staatsoper ». Cet opéra s’est d’abord appelé « L’Opéra à Chalottenburg », du nom du quartier berlinois où il est inauguré en 1911. Rebaptisé Städtische Oper en 1925, il est ensuite Deutsches Opernhaus sous la coupe de Goebbels, maison rivale du Staatsoper, fief de Göring. Il deviendra après-guerre le Deutsche Oper Berlin, situé à Berlin-Ouest.

Très curieusement, c’est assez tard — en 1929 — que Furtwängler aborde Lohengrin, alors qu’il avait dirigé tous les grands Wagner dès les années de Mannheim — et même les Meistersinger encore plus tôt à Lübeck. Est-ce pour se faire pardonner que son premier Lohengrin est programmé justement à Mannheim, en soirée de gala, peu avant les repésentations berlinoises ? Toujours est-il que, passées les soirées de légende du Bayreuth 1936, il n’y reviendra plus. L’on sait qu’un projet suscité par Rudolf Bing pour le Metropolitan de New York tourna court.

La représentation est celle du 21 novembre, qui ne figurait pas dans la liste connue ; et il ne s’agissait pas d’une erreur de retranscription dans celle-ci : ce n’est pas la même Ortrud recensée.

La distribution que l’on a ici est confiée à la troupe de la maison : d’excellents chanteurs, même si certains sont moins connus que ceux du théâtre concurrent. Il retrouvera en tout cas deux partenaires — le metteur en scène Heinz Tietjen et le décorateur Emil Preetorius —, au Staatsoper et à Bayreuth en 1936, notamment pour le Lohengrin, où Elsa sera de nouveau incarnée par la charmante Maria Müller.
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Le programme imprimé constitue en fait les « Feuillets de l’Opéra Municipal », publication mensuelle de l’opéra, traitant donc de sujets parfois éloignés de l’œuvre représentée. Seul le cahier central, de couleur, tient lieu de programme.

Un détail amusant visible sur ce fac-similé : le programme était scellé par un onglet de papier — à l’effigie des pianos Grotrian-Steinweg — qui venait à cheval sur les première et dernière de couverture.

 

Programme du concert de Berlin du 10 décembre 1923

Cinquième des « Dix Concerts Philharmoniques » de la deuxième saison de Furtwängler, ce concert proposait aux abonnés une soirée entièrement Beethoven, comme notre chef s’est plu à en jalonner sa carrière. L’intérêt réside ici dans La Fantaisie chorale, qui revient plusieurs fois sous sa baguette à cette époque, mais qui disparaîtra totalement de son répertoire après son exécution sous les doigts d’Edwin Fischer, au Festival de Görlitz 1931.

C’est la pianiste, bien oubliée de nos jours, Frieda Kwast-Hodapp qui officie. Frieda Hodapp (1880-1949) doit son nom composé à son mariage avec le pianiste, compositeur et pédagogue, James Kwast. Elle avait été l’élève de Max Reger — dont elle a créé le Concerto pour piano sous la direction de Nikisch — et s’était produite pour la première fois avec Furtwängler en 1914, pendant le directorat de ce dernier à Lübeck.

L’autre participant à cette œuvre est le Chœur Bruno Kittel, sans doute l’un des meilleurs ensembles berlinois avec le Philharmonisches Chor et la Sing-Akademie. Furtwängler avait systématiquement recours à lui, et le témoignage, unique et frappant, de cette collaboration est la 9e Symphonie de Beethoven du printemps 1942.

Les programmes imprimés se suivent et ne se ressemblent pas : parfois indigents en terme d’informations, parfois plus documentés, comme celui-ci. S’il ne présente aucune biographie, il se paie le luxe d’une analyse beethovénienne sous la plume d’un des plus éminents musicographes et critiques de l’époque, Paul Bekker.

Et la page 4 en surprendra plus d’un : les disques, que nous connaissons aujourd’hui comme des “Polydor” ou des “Deutsche Gramophon” étaient, certes, fabriqués par DGG, mais portaient l’étiquette célèbre de Nipper écoutant la voix de son maître.

Programme du concert de Berlin du 15 octobre 1923

[Manque la couverture, sans doute similaire à celle, déjà reproduite, du concert du 10 décembre 1923, car il reste quelques lambeaux de papier au niveau de l’agrafe]

 

C’est le concert qui ouvrait la série des «Zehn Philhamonische Konzerte» de la saison 1923-1924. Ceci étant, il propose une énigme : la liste des concerts établie par Peter Muck, dans sa volumineuse somme sur le BPO, et reprise par René Trémine, propose le même programme, mais avec le baryton Wilhelm Guttmann pour les Kindertotenlieder, et non Lula Misz-Gmeiner, dont le nom apparaît sur le programme. Qui a pris la place de qui ? Un article de presse de l’époque livre la réponse : c’est Guttmann qui chanta, sans doute en remplacement de dernière minute.

fd99049a54f2b5db11a3fd810e0c4b07    Wilhelm Guttmann (1886-1941) avait travaillé le chant, mais aussi la composition, notamment à Berlin avec Max Bruch et Paul Juon. Il se produisit au Volksoper ainsi qu’au Städtische Oper à Berlin, mais fut écarté de la scène en 1934 pour raison raciale.

Il est à noter que Furtwängler n’appartenait pas à la cohorte des chefs dont le chemin a croisé celui de Mahler — de Mengelberg à Walter, de Fried à Klemperer, sans oublier, même si c’est de façon négative, Toscanini à New York. La seule fois où il semble l’avoir vu diriger, c’est en 1906 à Salzbourg, où il se rendit avec sa jeune fiancée de l’époque, Berthel Hildebrand, pour y voir Les Noces de Figaro. Il ne se fit jamais le champion de la cause mahlérienne — comme il l’assuma pour Bruckner —, et son répertoire dans ce domaine resta limité, pas seulement en nombre d’ouvrages, mais aussi en nombre d’exécutions. Son répertoire engloba les Symphonies 1 à 4, quelques mélodies avec piano, Le Chant de la terre (une seule fois à Lübeck), les Lieder eines fahrenden Gesellen, ainsi que les Kindertotenlieder, ces deux dernières œuvres revenant plusieurs fois dans ses programmes d’après-guerre.

Dans une conférence à la Musikhochschule de Berlin, il évoqua Mahler comme un «Praktiker». Était-il conscient que cet épithète pouvait s’appliquer à sa propre activité de créateur ?…