2VH 7214

Chères adhérentes, chers adhérents,

Voici un nouvel article de Stéphane Topakian “dans les coulisses” du coffret Warner, faisant suite à  celui sur la 7e Symphonie de 1950 et celui sur la Passion selon Saint-Matthieu. Bonne lecture !

2VH 7214

Ce n’est pas un nom de code, ni… un nouveau virus. C’est un numéro de matrice 78T d’His Master’s Voice. Mais un numéro qui, pendant soixante-dix ans, est resté bien caché, au point de ne pas apparaître dans les relevés. Si bien que de savants furtwänglerologues lui ont concédé un valeur particulière.

La session d’enregistrement de janvier/février 1950 du Philharmonique de Vienne sous la direction de Furtwängler débute le 18 janvier, par la mise sur bande de la 7e Symphonie de Beethoven, qui va générer 10 faces, de la matrice 2VH 7180 à la 7189.

Et les prises vont s’enchaîner, s’interrompant seulement pour les répétitions et les concerts des 28 et 29 janvier. Le tableau ci-dessous en dresse l’inventaire, où nous avons inclus la fameuse matrice en question.

Comme on le voit, les enregistrements se sont déroulés dans la grande salle du Musikverein (on la dénomme aujourd’hui « salle dorée »), puis, pour les effectifs plus réduits, dans la Salle Brahms.

Bien des années plus tard, et la plupart de ces disques étant accessibles, les spécialistes ont commencé à s’interroger sur la discographie de Furtwängler et à (se) poser de nombreuses questions, échafaudant à partir de là tout autant d’hypothèses.

Ainsi en va-t-il d’un des derniers disques de cette série : la Pizzicato Polka. Il est vrai que cette référence présente une bien curieuse particularité : certaines éditions présentent l’oeuvre dans sa formation initiale, avec glockenspiel — bien audible —, et d’autres sans, aucune explication
n’étant fournie justifiant ce manque. C’est alors que l’on a vu fleurir une théorie, notamment sur les blogs japonais : et pourquoi cette version avec glockenspiel ne correspondrait-elle pas à la matrice 2VH 7214 — véritable trou dans la séquence des matrices. Cette hypothèse aurait alors une conséquence inattendue : si la version officielle (2VH 7222) est bien du début février, l’autre version (2VH 7214) aurait remonté, elle, à janvier. Les apprentis sorciers n’expliquaient pas l’identité du son entre les deux Polkas, alors que la version de janvier aurait été réalisée dans la grande salle et celle de février dans la Brahmssaal… Mais c’était plaisant, et — la nature ayant horreur du vide — confortable de pouvoir ainsi boucher un trou, et tant pis pour ceux qui s’étonnaient que l’on ait pu convoquer un même orchestre à plusieurs jours d’intervalle et dans deux salles différentes (le budget…).

La réalisation du coffret Warner a donné lieu à une véritable « chasse aux bandes », et quelle n’a pas été la surprise du studio Art et Son en recevant une bande où l’étiquette indiquait clairement le numéro mystère. Surprise doublée lorsque le contenu s’est avéré explicite : Schubert/Rosamonde/Entracte n°3 ! Et surprise mêlée d’incompréhension : pourquoi cette matrice alors que l’Entracte de Rosamonde a été fixé une fois pour toutes le 2 février et par une matrice identifiée 2VH 7221.

S’il est impossible de dater au jour près la fixation sonore initiale, deux choses sont certaines :
– la prise 2VH 7214 est précédée d’une « lecture » au tempo plus lent,
– l’acoustique est différente de celle de la prise officielle 2VH 7221.

Dès lors les conclusions s’imposent :
– Furtwängler, comme il l’a fait pour d’autres pages de cette série de 1950, a procédé à un filage de cette œuvre, au tempo qu’il souhaitait — plus lent —, avec comme conséquence une durée d’exécution excédant (de peu) la durée d’une face.
– Il a réalisé une prise, un peu plus rapide, 2VH 7214, pour tenir sur une face. Ce filage et cette prise ont été faits dans la Grande Salle.
– Puis l’orchestre est passé dans la Brahmssaal pour le reste des séances et la prise « officielle ».

Pourquoi la cabine (Legge, Griffith) a-t-elle jugé nécessaire d’octroyer un nouveau n° de matrice, alors qu’il eut été possible d’indexer cette matrice d’un numéro de prise : 2VH 7214-2, 2VH 7214-3 etc. ? Sans doute pour ne pas mélanger des captations d’acoustiques différentes.

Abondance de biens ne saurait nuire : on dispose de trois Entracte n° 3 de Schubert, et encore sans compter celui de Polydor de 1929…

Stéphane Topakian
Mai 2021
Avec l’aimable collaboration de Christophe Hénault et de l’équipe de Warner Classics.

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