La 7e Symphonie de 1950 : l’histoire d’une résurrection

Chères adhérentes, chers adhérents,

Plusieurs d'entre vous ont désiré savoir plus sur le travail effectué pour la préparation du coffret Warner.
Voici un premier article, consacré au travail fait sur la Septième Symphonie de Beethoven.

Bonne lecture.

La 7e Symphonie de 1950 : l’histoire d’une résurrection.

En a-t-on écrit sur cet enregistrement de la 7e Symphonie de Beethoven, réalisé par Furtwängler pour HMV, à la tête du Philharmonique de Vienne en janvier 1950 !

Un son sans relief, voire pauvre, manquant de dynamique… Le mélomane attendait mieux à chaque réédition, et à chaque réédition la déception était au rendez-vous. Que ce fut le fait d’EMI/Londres, La Voix de son Maître/France ou Toshiba/Japon, le sentiment était qu’il n’y avait rien à faire et que le défaut entachait sans doute la source même. Benoît Lejay, dans sa très belle et exhaustive étude de 1986, Furtwängler dirige Beethoven, écrivait : « La version de Vienne 1950 en studio est remarquable, mais pénalisée par une prise de son moyenne… » Constat logique, mais jusqu’à un certain point cependant, car cette symphonie s’inscrit dans la copieuse session viennoise qui s’étale sur plus de deux semaines, démarrant justement par cette œuvre le 18 janvier. On devrait ressentir le même manque pour l’Inachevée, la 4e de Beethoven, Mort et Transfiguration, ou les pages de Wagner ou Weber… Or ce n’est pas le cas. Personne n’a jamais émis des critiques similaires pour ces enregistrements.

Et puis, il était de bon ton de signaler que l’exécution était en retrait par rapport à d’autres captations (Berlin 1943 notamment) et manquait de certaines caractéristiques purement furtwängleriennes, à commencer par l’accord initial, bien en place, mais éloigné de la largeur habituelle, les fameux accords « dzou » comme habilement nommés par le regretté Harry Halbreich. Quant aux Japonais, ils glosaient des paragraphes entiers à propos de cette voix de femme, voix fantôme, qui apparaît et disparaît aussi vite dans le Finale.

Lorsque Christophe Hénault (Studio Art et Son) a eu à traiter de cet enregistrement dans la cadre de l’édition Warner à paraître — à laquelle le soussigné a collaboré — on était sur le qui-vive : quelle source allait être mise à disposition ? L’attente, fébrile, a été déçue : les mêmes bandes, une anglaise et une française, qui avaient servi aux rééditions successives. Bien entendu les outils numériques ont progressé, et, après le travail sur les sources, le rendu sonore présentait-il une légère, bien légère, amélioration. On en était à se résoudre à ce triste constat : le mélomane, une fois encore, devrait se contenter d’un tout petit plus.

C’était sans compter sur les résultats d’une véritable « chasse aux bandes », lancée par Christophe Hénault, et menée par le personnel réduit (Covid oblige) des archives à Hayes, dans les travées du centre historique de HMV. Remarquant que les boîtes des bandes de cette année-là était revêtues d’une étiquette bleue, il a suggéré de ne plus rechercher en partant du nom Furtwängler, mais de sortir et examiner toutes les « bandes bleues » ; et l’on a pu ainsi mettre la main sur des Furtwängler, mais bien cachés, dont des prises test, quelques inédits, et… des bandes de la 7e Symphonie.

C’est alors que le studio s’est vu annoncer l’envoi de 34 kilos de bandes (depuis le Brexit, une marchandise apparemment taxable au kilo) ! Et parmi toutes ces bandes : sept reprenant la totalité des 26 prises enregistrées de la symphonie de Beethoven, un cas presque unique sur l’ensemble de l’opération.

Il faut avoir à l’esprit qu’en 1950, HMV travaillait sur magnétophone (BTR1), mais la commercialisation des disques se faisait (et pour quelque temps encore …) sous forme de 78T. Dès lors, le processus était le suivant : on enregistrait sur bande, mais par sections correspondantes à une face 78T. C’est ensuite que la prise retenue était, à Abbey Road, transférée de la bande sur une cire destinée à devenir le master du disque.

Il semble que les enregistrements — du moins les pages plus courtes — aient été précédés d’un prise test, lecture destinée à remettre l’ouvrage dans les doigts des musiciens, à valider la prise de son et à prévoir le point de découpe par face. Si un certain nombre de ces filages ont été retrouvés, essentiellement pour des pages assez courtes, ce n’est pas le cas pour la 7e, dont le détail des bandes est strictement le suivant :

Mercredi 18 janvier 1950

Bande 1Part I. matrice n° 2VH 7180 : 3 prises
Master : prise n° 3

Bande 2Accord des musiciens
Part II. n° 2VH 7181 : 2 prises
Master : prise n° 2
Part III. n° 2VH 7182 : 2 prises

Bande 3Part III (suite). n° 2VH 7182 : 2 prises
Master : prise n° 4
Part IV. n° 2VH 7183 : 2 prises
Master : prise n° 2

Bande 4Part V. n° 2VH 7184 : 2 prises
Master : prise n° 2
Part VI. n° 2VH 7185 : 2 prises
Master : prise n° 2

Jeudi 19 janvier 1950

Bande 5Part VII. n° 2VH 7186 : 3 prises
Master : prise n° 3
Part VIII. n° 2VH 7187 : 1 prise

Bande 6Part VIII (suite). n° 2VH 7187 : 1 prise
Master : prise n° 2
Part IX. n° 2VH 7188 : 2 prises
Part X. n° 2VH 7189 : 1 prise

Bande 7Part IX (suite). n° 2VH 7188 : 1 prise
Master : prise n° 3
Part X (suite). n° 2VH 7189 : 2 prises
Master : prise n° 3

Les sections (Part I., II. etc.) correspondent au découpage suivant de la partition, édition Breitkopf & Härtel :
– Part I. : 1er mouvement, début jusqu’au Vivace, page 8, 2e système, levée 3e mesure
– Part II. : de là jusqu’à la page 21, 1er système, 4e mesure
– Part III. : de là jusqu’à la fin du 1er mouvement
– Part IV. : 2e mouvement, début jusqu’à page 35, 2e système, dernière mesure
– Part V. : page 36, 1re mesure jusqu’à page 42, 2e système, 5e mesure
– Part VI. : de là jusqu’à la fin du 2nd mouvement
– Part VII. : 3e mouvement, début jusqu’à page 52, 2e sytème, 6e mesure
– Part VIII. : de là jusqu’à la fin du mouvement
– Part IX. : 4e mouvement, début jusqu’à page 80, 2e système, 3e mesure
– Part X. : de là jusqu’à la fin du mouvement

Lorsque les 78T sont parus, ils portaient les numéros de matrices–prises suivants :
2VH 7180 à 2VH 7188 : – 1A
2VH 7189 : – 1B

Il est clair, et contrairement à ce qui viendrait à l’esprit, que ce n’est pas la prise 1 qui a été systématiquement retenue, mais que les prises retenues ont été systématiquement renommées 1. Quant aux suffixes A et B, nous en ignorons la signification, peut-être la désignation de la machine à graver.

La suite exacte du référencement est donc :
2VH 7180-3, 7181-2, 7182-4, 7183-2, 7184-2, 7185-2, 7186-3, 7187-2, 7188-3, 7189-3

Musikverein, Großer Saal
Direction artistique : Walter Legge
Ingénieur du son : Anthony Griffith
Matériel : BTR1, EMI tapes

Une première question s’est posée : le sort à réserver à ces multiples prises ? Warner a pris une décision, qui est celle de tout label responsable et respectueux des volontés de l’artiste : on publie la 7e Symphonie de Beethoven en suivant les choix du chef d’orchestre. En revanche, et comme si l’enregistrement avait été réalisé hier, on ne doit pas se priver des possibilités de montage pour réparer des petits accros, que la technique de l’époque était incapable de traiter.

Le son est tout de suite apparu mieux défini, plus clair, mais entaché d’un défaut inhérent à de nombreuses bandes EMI de cette époque : un bruit de fond (sorte de « glouglou ») quasi permanent. Le nombre très important de bandes utilisées par le groupe EMI, le prix de cette denrée encore rare, amenaient le groupe à réutiliser les bandes après effacement. Très souvent les étiquettes portent une mention manuscrite « testée le… » avec le paraphe de l’ingénieur du son, validant le réemploi de la bande. Soit que la barre ait été fixée assez bas, soit que les
outils aient été peu performants, toujours est-il que les studios se sont retrouvés avec des bandes « bruyantes ». C’est le cas ici.

Le traitement : si le bruit de fond demeure, il a pu être atténué. Le son n’a nécessité qu’une minime équalisation. L’utilisation du matériel original a permis également de résoudre un grave problème de vitesse au tout début du 2e mouvement, qui donnait un accord « fluctuant ».

Du point de vue musical, le premier travail a consisté à refaire tous les montages de faces, certains laissant à désirer lorsque les sections avaient été « cousues » pour le pressage des 33T longue durée.

S’agissant du tout premier accord de la symphonie, très « vertical » et éloigné de la pratique habituelle de Furtwängler, l’on s’est aperçu que cela ne résultait pas d’une volonté du chef, mais d’un mauvais travail au niveau du montage initial : la bande étant bruyante, l’ingénieur du son, voulant se caler au plus près du son, a « mordu » sur l’attaque de l’accord. Nous avons
remplacé ce tutti par celui de la prise n° 2.

Divers bruits ont été effacés, soit par enlèvement « à la main », soit par insert d’une ou deux notes empruntées à une autre prise. C’est ainsi que l’on a fait taire définitivement la fameuse voix de femme dans le Finale. La musique y gagne ce qu’a perdu le folklore.

Plus de soixante-dix ans après sa parution, cette 7e Symphonie retrouve sa jeunesse et sa place au sommet de la discographie de Furtwängler.

Stéphane Topakian
Mai 2021
Avec l’aimable collaboration de Christophe Hénault et de l’équipe de Warner Classics.

1 octobre 2021

4 réflexions sur « La 7e Symphonie de 1950 : l’histoire d’une résurrection »

  • Bonjour à tous. J’ai effectivement pu entendre Stéphane Topakian le 23 septembre et l'”allegro con brio” final de la 7ème. On n’imagine pas qu’il puisse y avoir un rapport entre ce travail et l’enregistrement EMI. Félicitation pour ce beau travail M. Topakian et merci à la SWF.

  • Bonsoir ,
    Je viens d’écouter l’émission “Relax” en Podcast du 23 septembre de Lionel Esparza avec Stéphane Topakian car j’étais en Allemagne … et je remercie mille fois Stéphane pour cette émission que j’ai trouvé vraiment super à tout point de vue ….
    J’ai même versé ma grosse larme en écoutant un extrait de la 4ème de Schumann !!!
    Encore mille merci à Stéphane
    François Barbier Trésorier SWF

  • Bonjour,
    cet exposé brillant sur le travail réalisé pour la septième est passionnant: On en redemande.
    Il serait entre autres, intéressant de connaitre ce qui a été fait pour la neuvième de Bayreuth 1951.
    Il me semble avoir lu que la première sortie de l’enregistrement de ce concert par EMI n’était pas le concert lui-même, mais un assemblage d’extraits des répétitions et des parties du concert. Il existe chez ORFEO l’enregistrement du concert réel basé sur les bandes archivées à la radio bavaroise, mais je ne l’ai pas entendu, étant resté jusqu’à ce jour sur la sortie restaurée par Tahra dans l’album des 3 versions.
    Cela dit je suis ébahi à l’écoute de l neuvième de Londres, son je possédais un CD minable…le fortissimo des mesures 300 à 330, me semble le plus exaltant de toutes les versions que je connais
    Encore Bravo et Merci. georges Brochet

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