Cinq questions à Philipp Bohnen

Interview de Philipp Bohnen, premier violon du Varian Fry Quartett. 
Le Varian Fry Quartett est invité par a SWF à se produire à Paris le 19 octobre prochain pour le cinquantenaire de l’association.

1- Philipp Bohnen, vous êtes violoniste au Philharmonique de Berlin, et les autres membres du Quatuor appartiennent aussi à cet orchestre. Une question vient immédiatement à l’esprit : le nom de Furtwängler représente-t-il encore quelque chose pour un Berliner d’aujourd’hui ?
Oui, bien sûr, il représente quelque-chose. Wilhelm Furtwängler est toujours présent dans la mémoire de l’Orchestre, comme l’est Herbert von Karajan, y compris pour la plus jeune génération de musiciens. Au tout début du mois de juin, nous avons joué avec Daniel Barenboim, qui nous a beaucoup parlé de Furtwängler : comment il avait joué pour lui, comment Furtwängler l’avait invité à venir assister à ses répétitions et apprendre de lui. Furtwängler fit une profonde impression sur le maestro Barenboim, qui est un invité très régulier de l’Orchestre et son premier chef honoraire. Et, comme il le dit, il a toujours à l’esprit et dans l’oreille les interprétations de Furtwängler. Et ainsi, au travers du maestro Barenboim, qui bien entendu apporte aussi beaucoup de lui-même, nous pouvons entendre la « musique » de Furtwängler encore aujourd’hui.

2- Est-ce facile de concilier vos fonctions au sein d’un tel orchestre et votre travail au sein du Quatuor ?
Pour nous autres musiciens du Philharmonique de Berlin, jouer dans l’orchestre passe bien entendu en premier, et aussi le faire au meilleur niveau possible. Mais un bon nombre de nos collègues font de la musique de chambre dans différentes formations. En tant que quatuor, nous pensons qu’il y a un apport de l’un à l’autre.
Nous sommes très inspirés par les couleurs que font ressortir, par exemple, nos collègues des vents dans leurs solos ; et, également, la puissance de la section des cordes telle que nous l’avons dans notre orchestre est quelque chose que tous les quatuors ne connaissent pas comme environnement musical. Ce que l’on en retire est étonnant !
Mais inversement nous sentons combien le jeu en quatuor nous apporte dans l’orchestre. Quand nous travaillons notre répertoire en quatuor, nous avons généralement plus de temps pour travailler les petits détails. Nous prenons le temps de devenir « un » instrument, et ces expériences musicales sont précieuses et enrichissantes.

3- Sauf erreur, c’est la première fois que vous vous produisez en France. Est-ce que cela a une signification particulière pour vous ?
Oui, c’est exact, nous allons nous produire pour la première fois en France et on a vraiment hâte. Nos concerts avec le Philharmonique de Berlin nous ont appris comme ce peut être fantastique de jouer pour un public français. Je sens toujours que les gens écoutent les oreilles plus grandes ouvertes, et ouvertes aux nouvelles idées. En même temps, vous ressentez l’atmosphère chaleureuse dans les salles.
Et jouer à Paris, l’une des capitales culturelles de l’Europe et du monde, c’est réaliser un rêve. Et aussi à cause de notre nom : Varian Fry.

4- Plus généralement, sur quel répertoire travaillez-vous ? et la musique de notre temps entre-t-elle dans vos préoccupations ?
Le répertoire pour quatuor est si étonnamment riche que nous ne voulons pas nous spécialiser dans quelque chose de particulier ni exclure complètement quelque chose.
Nous essayons de bâtir des programmes qui ont un sens. Généralement nous aimons mélanger des répertoires de différentes époques. La musique de compositeurs contemporains peut être très bonne, stimulante et excitante. Nous n’avons pas eu tant de compositeurs contemporains que cela dans nos programmes de concert, mais c’est quelque chose qui certainement va se produire dans l’avenir.

5- Je ne suis pas sûr que le nom de Varian Fry soit très connu en Allemagne, mais il ne l’est pas plus en France. Vous pouvez nous en dire un peu plus ?
Varian Fry était un journaliste américain qui a aidé plus de 2000 personnes à fuir le régime nazi durant la Seconde Guerre. Il était basé à Marseille et a mis sur pied tout un réseau d’aides. Il a sauvé des artistes, des écrivains, des compositeurs, comme Hannah Arendt, Lion Feuchtwanger, Klaus Mann, Franz Werfel, Marc Chagall et Bohuslav Martinu… et bien sûr beaucoup d’autres.
La ville de Berlin a donné son nom à une rue, et c’est comme ça qu’on l’a découvert, parce que cette rue est située juste à côté de la Philharmonie. Pour nous, ce nom revêt une importance double : nous honorons un homme qui a été à ce point courageux qu’il a risqué sa vie pour sauver celle des autres, et la Varian Fry Strasse est tout à côté de la Philharmonie de Berlin, notre « chez nous » musical.
Nous ressentirions un grand honneur si de porter le nom de Varian Fry aidait quelque peu à ne pas l’oublier, et peut-être à ce que des personnes apprennent à le connaître et à s’inspirer de son courage.

(Propos recueillis et traduits par Stéphane Topakian)

30 juin 2019

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