Concert du 8 mars 1948, Watford

Le 4 avril 1948, Furtwängler écrivait à Ludwig Curtius « qu’il reprend contact avec le monde anglo-saxon dans des conditions extérieurement insuffisantes ». Insuffisantes ou pas, les circonstances étaient certainement peu banales : il était le premier chef allemand — non exilé — à diriger en Grande Bretagne après la Seconde Guerre Mondiale (Clemens Krauss y était venu en visite en 1947 avec l’Opéra National de Vienne, mais était autrichien). En 1948, il y fit quatre séjours, donnant vingt-et-un concerts avec quatre orchestres différents, dont huit furent retransmis, en tout ou partie, par la BBC. Il dirigea également le seul cycle complet qu’il ait jamais donné des symphonies de Beethoven, l’Héroique étant même télévisée. S’y ajoutent un long entretien radiophonique avec le journaliste de gauche Henry Noel Brailsford et des séances d’enregistrement pour HMV et Decca.

En 1938 Furtwängler déclara à Fred Gaisberg que sa récente expérience avec le Philharmonique de Londres l’avait convaincu qu’il pouvait en tirer des résultats comparables à ceux du Philharmonique de Berlin. Mais, durant sa première visite de 1948, s’étalant sur quatre semaines, il se trouva à la tête d’un Philharmonique de Londres qui avait perdu son fondateur Beecham et pas encore vu son sort ravivé par Boult. Néanmoins, et sous un angle plus positif, toute l’inquiétude, qu’il aurait pu ressentir au sujet de son accueil dans un pays encore ennemi voilà peu, se trouva balayée lorsque les musiciens se levèrent spontanément et applaudirent à son arrivée 1.

Les exigences de répétitions ont dû être considérables. Le programme de leurs dix concerts englobaient les quatre Symphonies de Brahms, et les Septième et Neuvième de Beethoven, plus treize autre œuvres, pour la plupart n’apparaissant qu’une seule fois sur la série. Le premier concert affichait la Fantaisie sur un thème de Tallis de Vaughan Williams — qu’il avait donnée en Allemagne dans les années vingt — tandis que L’Horloge de Haydn et En Saga de Sibelius étaient joués dans un concert au bénéfice de la caisse de retraite du LPO. Et, en sus de tout ça, il enregistra la Deuxième Symphonie de Brahms avec le LPO, et — première rencontre avec le Philharmonia — la scène finale du Crépuscule des Dieux.

La visite inclut des concerts à Birmingham et Leicester, et — plus surprenant peut-être — en banlieue de Londres, à Watford et Wimbledon, qui seraient ravis d’applaudir de nos jours une telle star de la baguette ! Le Watford City Hall accueillit tous les genres de musique, mais aujourd'hui il demeure essentiellement dans les mémoires pour avoir été le lieu de nombreux enregistrements classiques.

Les programmes étaient une combinaison typique de chefs-d’œuvre reconnus du répertoire allemand et d’ouvrages plus récents et plus exigeants. Furtwängler manifestait guère d’enthousiasme pour Mahler, mais se montra actif pour défendre son œuvre alors peu connue en Grande Bretagne ; nombreux furent ceux qui dans le public de Watford ont dû découvrir les Lieder eines fahrenden Gesellen. Eugenia Zareska devait apparaître peu après à Covent Garden, avant de s’établir plus tard à Londres et de prendre la nationalité britannique.

Les comptes-rendus de la presse (la plupart anonymes), compilés par John Squire, en 1985, dans l’étude Furtwängler en Grand Bretagne 2, ne font pas allusion au récent conflit : on a l’impression que le monde musical était soulagé de revenir en période de paix et de tourner ses regards vers l’avenir. Sur le plan musical, Furtwängler suscita des opinions divergentes, comme elles l’ont toujours été en Grande Bretagne, où d’aucuns lui reprochaient une subjectivité excessive. Mais le Musical Review était de son côté, trouvant que « sa principale caractéristique demeure inchangée : son pouvoir de percevoir une œuvre comme un tout musical, et tout autant comme un microcosme de l’expérience humaine — même si ses moyens techniques ne sont pas toujours à la hauteur pour amener le London Philharmonic à traduire totalement ses idées. »

Roger Smithson, Juin 2023

Eugenia Zareska

  1. Raconté par Robert Meyer (1920-2016), contrebassiste au LPO puis au Philharmonia, dans Musical Reminiscences. https://robertmeyer.wordpress.com/2007/04/20/wilhem-furtwangler-conductor
  2. Éditée par la Wilhelm Furtwängler Society UK, 1985.
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